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MONNIER SA VISION
Fidèle
en amitié
Libéré
du service militaire en octobre 1935, je venais de
débarquer à Paris. Un soir, sur le boulevard
Saint-Germain éclairé par les vitrines, mon compagnon de
vadrouille me retint par le bras... " Regarde ! Ce
type-là... C'est Brasillach... "
Pour nous, Thierry Maulnier, Robert Brasillach,
Vinneuil, c'était l'équipe du jeudi de notre journal L'Action
française, de jeunes insolents auxquels notre vieux
maître Charles Maurras avait trouvé naturel de confier
sa page littéraire... De Thierry Maulnier et de Robert
Brasillach, on disait que, brillants normaliens, ils
avaient poussé l'incongruité anti-républicaine jusqu'à
louper l'agreg' en sortant de l'école, ce que nous
ressentions comme une preuve d'indépendance
intellectuelle, une négligence délibérée de se soumettre
à une contrainte administrative tout à fait à leur
portée...
Robert Brasillach était là, immobile, les mains dans
les poches de son imper, très intéressé par les bouquins
dans la vitrine. Nous ne le connaissions pas encore,
nous n'avons pas osé l'aborder. Je regardais ce visage
sérieux, ce crâne volumineux, ce front haut et clair,
ces traits doux et arrondis. En m'éloignant, je croisai
son regard. C'est peu et c'est banal de dire qu'il en
émanait un éclat d'intelligence. Avec autre chose qui
m'intrigua et dont je compris la nature plus tard, un
jour qu'il avait cessé de parler pendant quelques
secondes au cours d'une conversation. Je vis alors dans
ces yeux noirs de Catalan une lueur de rêve et de
nostalgie comme on en rencontre dans les yeux bleus de
ceux de l'Ouest, ce qui donnait du charme à ses propos
ironiques répandus à travers un sourire à peine
esquissé.
Nous avons souvent bavardé pendant ces années 36, 37,
38... etc. Nous nous sommes querellés, aussi. Quand,
entré en " dissidence ", comme on disait, j'avais
entrepris avec quelques camarades de donner à notre
mouvement une impulsion plus progressiste (l'histoire
de L'Action française est jalonnée de tentatives
de cette sorte).
Nous avions créé l'hebdomadaire L'Insurgé,
auquel Robert Brasillach ne collabora jamais malgré son
amitié pour Thierry et Maxence et quoi qu'en ait dit
l'acte d'accusation. Il y eut une empoignade sérieuse à
la terrasse du " Capoulade ". Brasillach et Rebatet me
reprochaient mon évolution et les tendances prétendument
fascistes de notre entreprise. Tous deux étaient encore
très attachés à l'orthodoxie maurassienne. Ces heurts
n'avaient aucune prise sur l'amitié qui nous regroupait
dans ce qu'on appellerait aujourd'hui une même
sensibilité politique. Robert Brasillach venait nous
voir au siège de L'Insurgé où il bavardait avec
Thierry Maulnier, Jean-Pierre Maxence, Maurice Blanchot.
Je l'écoutais et je l'admirais. Grâce à lui, j'ai eu la
révélation de l'art de Jouhandeau, à travers un livre
récemment paru, Le Saladier. Un autre jour, il
nous raconta en riant qu'il avait reçu un premier livre
d'un jeune auteur nommé Kléber Haedens : " Il y
traîne ses parents dans la boue... Il a du talent, je
l'ai envoyé chez Corréa... Ça va marcher... "
Il a conforté et aiguillé de nombreux jeunes écrivains,
à leurs débuts, des jeunes à peine moins jeunes que lui,
dont les écrits reflétaient alors ses propres
passions... Claudel, Alain-Fournier, Supervielle,
Giraudoux et les animateurs de théâtre, Jouvet, Dullin,
les Pitoëff... Et Gérard de Nerval vers lequel il
orienta Kléber Haedens, lui fournissant ainsi le thème
de son deuxième livre (...)
Notre dernière rencontre ? Un après-midi du mois d'août
1943, place de la Sorbonne, devant la librairie " Rive
Gauche ". Nous sommes restés ensemble un long moment.
Nous avons parlé de ce qui fut dans sa vie un évènement
d'importance daté de la veille, sa rupture avec l'équipe
de Je suis partout où je gardais moi-même encore
un vieux copain, Ralph Soupault. Robert Brasillach m'a
dit, simplement, sans hargne, ce qu'il devait répéter
jusqu'à la fin de son procès... " On ne peut se figer
dans une politique de sectarisme irréaliste... la vie
des hommes vaut plus que toutes les idéologies... Je ne
renie rien et je continue... ". Et toutes ces
phrases étaient ponctuées de : " Lesca est un con ".
Je ne l'ai jamais revu. Je suis de ceux qui ne
pardonneront jamais. Je n'accepterai jamais que cette
vie ait été cassé par un grandiose qui déshonora
l'abjection.
Pierre MONNIER
(Cahiers
des Amis de Robert Brasillach, automne 1980)

***
Le
plaisir d'écrire
C'est
sur le tard, après avoir entamé ma retraite, à près de
soixante-dix ans que j'ai tenté de m'exprimer avec une
plume et de gagner des éditeurs. Le problème était posé
de savoir comment utiliser le temps libre avec un
maximum d'astuces et de bonheur.
Avant de plonger dans un travail de salarié
d'entreprise, au cours de vingt-deux années d'une
raisonnable activité, ma vie fut meublée d'avatars et de
petits boulots : la peinture qui nourrit ma jeune
famille au cours de trois années, le dessin de presse
(je me suis nommé " Chambri " pendant quatre ans),
l'édition (j'ai traîné deux ans de galère sous le nom de
" Frédéric Chambriand "), sans compter les expédients
classiques, un peu manœuvre, un peu tireur de sonnettes,
un peu figurant de théâtre et de cinéma...
Je me trouvai donc maintenant libre et débarrassé de
l'immédiat souci de rentabiliser mes efforts. Entre le
dessin, la peinture et l'écriture, il me fallait faire
un choix si je ne voulais pas être encore une fois pris
par ce style touche-à-tout qui fut pendant longtemps mon
" image de marque " aux yeux des gens réputés sérieux.
C'est pour l'écriture que j'ai opté. Des trois
opportunités c'est, à coup sûr, celle qui comportait le
moins d'exigence matérielle. Une plume et quelques rames
de papier font l'affaire. Pas d'installation technique,
pas d'implantation ; de l'air, de la liberté... Je ferai
donc l'écrivaillon.
J'avais encore une autre raison. Pas moins sérieuse.
Une habitude, un besoin sporadique certes mais
récurrent, de remplir, depuis mon jeune âge, des carnets
que je portais dans mes poches. Ils sont plusieurs
centaines, empilés chez moi, mêlés à des tas de dessins,
prêts à servir la rédaction de textes et de mémoires. Il
faut aussi dire que cette manie, ce besoin d'écrire et
de noter sont le reflet de souvenirs très anciens, liés
à mon émerveillement quand j'étais atteint pour la
première fois par une onde de choc à la vue d'un simple
et rigoureux accord de lignes et de couleurs ou en
lisant deux vers d'une sensibilité accomplie.
Je me souviens. C'était en 1925. J'étais en troisième,
au lycée de Bordeaux. Le jeune professeur, Paul
Avisseau, que j'admirais (il avait réussi à me faire
travailler), prononçait son discours de distribution des
prix en fin d'année scolaire. Il avait truffé son texte
de citations originales et déconcertantes... " La
poésie, affirmait-il, est partout !... Ecoutez
plutôt... Et il citait : " La somme des angles
d'un triangle, chère âme, est égale à deux droites...
"... Vous aimez le mariage des mots ? Et ceci : "
L'Armand-Behrie, des messageries maritimes, file
quatorze nœuds sur l'Océan indien... " Ce jour-là,
j'ai découvert et chéri pour toujours les " cartes
postales " de Henry Jean-Marie Levet. (...) Quand on est
tellement touché par l'écriture des autres on sent
qu'écrire soi-même est comme une fonction naturelle.
On s'imprègne aussi de l'amour des mots sans risquer
d'être desséché par la dictature des concepts et des
idées. Les courageux qui me font l'honneur de me lire
savent que j'ai dessiné les portraits des miens et que,
s'ils sont les miens, c'est parce qu'ils sont riches de
ce qui m'a toujours fasciné : l'intelligence et l'art de
se faire entendre à travers les élans de l'amitié. (...)
J'ai aussi rédigé des chroniques : A l'ombre des
grandes têtes molles et Les Pendules à l'heure.
Le troisième tome
de cet ensemble, auquel je donne pour titre général Rue
du Temps passé, m'amène à l'heure présente. J'y ai
pris le parti de ne pas m'isoler du contexte et de
l'évènement, sans pourtant me livrer jamais à la moindre
introspection. Je n'ai d'autre souci que de dire, de
raconter, de donner à voir et à comprendre.
Un copain qui fait un peu dans la psychanalyse me
disait : " Te rends-tu compte que tu te trahis sans
cesse et que tes obsessions se révèlent à chacune des
pages ? Il est deux de tes mots dont la présence est
éclatante : " Regard " et " Visage ". Il a raison.
Je ne m'en défends pas. Cette passion du regard et de la
découverte des visages était déjà la même à l'heure où
je transcrivais maladroitement mes premières notes dans
mes premiers carnets. (...) Et puis, il y avait nos
chefs de file qui, dans leur style irrespectueux,
manquaient un peu de modération, Thierry Maulnier,
Maurice Blanchot, Brasillach, Haedens, Rebatet,
Maxence...
Et le talent ! Ceux-là aussi, vous auriez pu les
interroger sur ce qui les poussait à écrire, et vous
auriez obtenu de pertinentes réparties. Parmi nos
raisons d'intervenir il en était qui procédaient de
réflexes offensifs dont la maîtrise nous échappait
parfois. Nous n'étions mus par aucune haine, aucune
rancœur, aucune conscience de classe, mais nous avions
un tel appétit de liberté que la pire des bassesses
était, selon nous, l'impuissance à porter un jugement
privé de toute considération préconçue. Il y a là un
paralogisme agressif dont l'archétype est le discours de
l'intellectuel de gauche, cette grande tête molle
appuyée sur deux préceptes fondamentaux : " mépriser ce
que l'on ne comprend pas " et " dans tout conflit
opposant le réel à l'idéologie, donner toujours tort à
la réalité ". Nous, on réglait les comptes en souriant.
Fils de cette terre nantaise où mes pays chantent "
Catholique et français toujours ! ", je veux affirmer ma
joie et mon orgueil d'être, en tenant une plume, le très
humble, le très petit, le très pauvre, le minuscule
frangin de ceux-là, les Français dont les écrits les
plus simples ont le pouvoir de me bouleverser bien plus
que les concepts les plus élaborés... C'est Louise Labé
qui murmure : " Bien je mourrais, plus que vivante,
heureuse. " Et Charles d'Orléans : " Ce qu'il lui
plut de m'accorder quand me donna le nom d'ami. " Villon
: " Je suis pêcheur, je le sais bien, pourtant ne
veut pas Dieu ma mort... " Et Guillaume Apollinaire
: " Mon beau navire, ô ma mémoire... " Et
Brassens : " ... Mais la belle était si petite qu'une
seule feuille a suffi... " Et tous les autres, et
ceux de la chansonnette : " On dirait que le vent
s'est pris dans une harpe ! " ... Et celui qui
chante : " Elle était si jolie que je n'osais
l'aimer... "
Oh
! je sais, je ne suis pas le seul à vouloir écrire. Et
nous avons tous de bonnes raisons. Il n'est pas d'art
mineur comme certains le croient. Et ne vous dites pas
non plus que mon amour de la France me rend aveugle aux
mérites des grands d'ailleurs.
J'en connais aussi un petit bout sur les Dostoïevski,
les Heine, les Poë, les Pirandello et le grand Bill, ce
Shakespeare monumental et susceptible, à qui la
Jeannette, notre bonne Lorraine faisait faire des
bulles... Mais c'est avec les miens que je m'enrichis le
plus. Maurras m'incite à réfléchir, comprendre et ne pas
me laisser entamer, Céline à regarder, discerner
jusqu'au plus secret tout en éclatant de rire, Léautaud
à simplifier l'écriture.
Ceux-là me soufflent les réponses à vos questions. Ils
exigent aussi que je m'engage à mon tour. Ils me
veulent, moi aussi, soumis à la délicieuse angoisse de
la phrase élaborée lentement avant d'être effacée pour
renaître et subir de nouvelles ratures. " Vingt fois
sur le métier ", comme dit l'autre. La facilité,
c'est tellement rare. Ne pas se duper soi-même en dupant
les autres. Pourquoi écrire ?... Il y a bien aussi
quelques raisons sérieuses. Tenez, voici le point de la
question, en vitesse. Je pense qu'il faut dire leur fait
à ceux qui nous bernent depuis deux cents ans. Leur
Démocratie n'est qu'un leurre. " Demos, Kratos,
pouvoir du peuple, baliverne ! "
Le
peuple avec ses bulletins de vote est toujours
couillonné. Le vrai pouvoir est exercé sous le paravent
des constitutions par des associations occultes et
toutes puissantes, groupes de pression, lobbies, etc.,
les vrais, les seuls maîtres, ceux qui déclenchent les
guerres dans lesquelles vous mourrez.
Ça dure depuis deux cents ans. Ça prend aujourd'hui
des proportions monstrueuses, avec leur entreprise au
double visage d'un gouvernement mondialiste et la
destruction des patries auxquelles ils prétendent
substituer de petites entités faciles à dresser les unes
contre les autres.
On en prévoit deux cent trente environ pour la seule
Europe. Alors voilà ! J'écris parce que je ne veux pas
de leur " Plouto-tribalisme " abrité derrière le
mensonge de leur Démocratie. Je ne vous fais pas de
dessin.
Et puis un mot encore. Parce qu'il faut aussi le
dire... J'écris pour cette raison impérative que vous
avez à coup sûr discernée, l'amour de l'écriture, et
puis cette valeur, des valeurs... Pourquoi écrivez-vous
?... Ben ! Pour le plaisir... Pardi !
Pierre
Monnier
(Présent, 5 février 1997)
Présent 1997 : Extraits de la rubrique " La page de
l'invité du mercredi ". Il s'agissait pour chaque
personnalité invitée, de répondre à la question : " Où,
quand, comment et pourquoi écrivez-vous ? "
(Bulletin célinien n°275, mai 2006)

Pierre Monnier, Antoine Blondin et Denis Tillinac
***
(...)
" Il sait que la résistance à la destruction des valeurs
morales ne peut s'organiser ailleurs que dans le peuple,
chez les ouvriers, dans les classes dites moyennes, la
petite bourgeoisie. Il sait bien que les agents de
destruction et de mort trouveront leurs meilleurs alliés
chez les grands, attachés à leur privilège et aux idées
dites " avancées " et parmi ceux que Lautréamont
appelait " les grandes têtes molles ", la
classe intellectuelle toujours effarée à l'idée de ne
pas être du dernier bateau.
Le petit bourgeois est poussé par un instinct de
survie bien supérieur à celui du grand possédant auquel
il est aisé de donner mauvaise conscience. Il résiste
parce que la vie lui a été dure. Le peu qu'il possède,
il l'a gagné en peinant. L'enfant qu'il élève, il veut
le protéger, lui donner des forces, l'armer, et il sait
bien que les forces morales sont la condition de la
résistance au malheur. "
*
"
L'écrivain le plus proche de Céline, par l'inspiration,
la forme et le contenu émotif est à mon avis Georges
Brassens, qui a le même public. Même amour de la vie
dans ses manifestations les plus humbles, les plus "
quotidiennes ", même scepticisme à l'égard des idées,
des idéologies, des " grands problèmes ", même
sensibilité, même sympathie pour les petites gens, même
admiration pour l'héroïsme discret, secret, de ceux qui
ne " paraissent " jamais, même sens de la dignité
cachée, de la vraie grandeur enfouie... même
enracinement au sol natal, même fierté aristocratique et
populaire, même scepticisme affiché, même indulgence
camouflée, même indifférence à certaines valeurs
surfaites et même attachement à d'autres plus simples,
les sabots d'Hélène et la tendresse de Molly...
Enfin le style, les archaïsmes, les idiotismes
français, quelquefois la langue verte... Qu'il s'agisse
de la prose de Céline ou des vers de Brassens, on
assiste à l'éclosion
d'un vocabulaire d'essence traditionnelle, populaire,
riche en sève et très souvent à la limite de la
désuétude. L'un et l'autre éternisent des mots que l'on
jugerait démodés ou incongrus sans le raffinement et
l'habileté avec lesquels ils sont imbriqués dans la
phrase...
Voici que Céline nous montre un quartier pauvre de
Londres... " Au premier sourire du soleil, tout
s'esclaffe et tourbillonne... gambade ! Sarabande !...
C'est la kermesse des lutins d'un bout à l'autre de
Wapping !... de perrons en porches, ça culbute à la
course ! A la sauvette ! Fillettes et garçons ! à qui
perd gagne !... A qui mieux mieux ! A cent jeux
espiègles et pimpants !... Les tout petits au beau
milieu... main dans la main, dansant en ronde !...
mignons marmots du brouillard !... Tellement réjouis
d'un jour sans pluie !... Mieux jouants allègres, divins
et prestes qu'angelots de rêve... Et puis tout autour
barbouillés, bandits pour rire tourmentent les filles...
malmènent passants, les piaillants monstres... "
... " Moi mes amours d'antan c'était de la grisette...
alors toutes tes fredaines, guilledous et
prétentaines... j'lâche la bride à mon émoi... la jambe
légère et l'œil polisson... et la bouche pleine de
joyeux ramages... courons guillerets, guillerettes...
faisons mille et une gambades ./. au premier ostrogoh
venu... dans le guignon toujours présente... qui brode,
divine cousette... tous sont restés du parti des
myosotis... " dit Georges Brassens.
Céline et Brassens ne se sont jamais rencontrés. On
peut supposer qu'ils auraient eu des goûts et des
dégoûts communs. A coup sûr une même passion pour la
langue française, dans sa branche " mâle et débridée "
comme l'avait dit Léon Daudet à la parution de " Voyage ".
*
" Il y a aussi la question de l'interprétation... Le
personnage de Ferdinand Bardamu pourrait ressembler à
Louis Destouches, mais la ressemblance physique n'est
pas un préalable obligatoire. Quand il était jeune,
Alexandre Rignault avait un faux air de Ferdinand... Et
il en avait la voix... On a parlé de Belmondo...
peut-être... je verrais bien Lino Ventura en médecin des
pauvres... quant à Charles Gérard, à mon avis, il " est
" Robinson.
Mais le temps passe, Ferdinand n'a pas quarante ans
quand il travaille au dispensaire de Clichy... Je crois
que Gérard Depardieu ferait un vrai Bardamu et peut-être
Jacques Dutronc un savoureux Robinson...
Je dis tout ça comme ça me vient. Mais c'est vrai,
Gérard Depardieu-Bardamu, j'aimerais voir ça...
***
LES PAMPHLETS, LA GUERRE, LES
JUIFS...
J'ai
plusieurs raisons de dire ici ce que je pense. D'abord
je veux apporter le témoignage de quelqu'un qui avait
entre vingt-six et trente ans quand parurent les
pamphlets. Je suis donc de ceux qui se sont fait une
opinion à chaud, et je suis de ceux qui étaient
mobilisables en cas de guerre (rejoint le premier jour).
Je voudrais m'adresser aux jeunes, à ceux qui sont
informés des faits de l'avant-guerre par les livres, les
revues, les films, la télé, etc. Je voudrais leur dire
de n'oublier jamais que l'Histoire est toujours un roman
à thèse écrit par un vainqueur.
(...) Le Mal était alors identifié à l'Allemagne
nationale-socialiste (il est évidemment facile de
trouver à cette affirmation des preuves qui ne souffrent
pas de discussion). Et le Bien, c'était ce que nos
jeunes gens abhorent ; le capitalisme international
allié au communisme : la Cité de Londres, plus Wall
Street, plus le Kremlin et Staline. Tout ce qui n'avait
pas rallié la coalition capitalo-stalinienne était
l'incarnation du Mal.
(...) La vérité est que, dès le jour de la victoire de
1945, une gigantesque entreprise de camouflage est née
avec, pour seul objet, d'interdire tout jugement nuancé
sur les évènements des vingt ou trente années
précédentes. Winston Churchill pouvait dire à propos de
Staline et d'Hitler... " Nous nous sommes trompés,
nous avons tué le mauvais cochon " (20 millions de
morts pour une petite erreur d'appréciation) rien n'a pu
altérer la sérénité des historiens bien pensants,
fidèles défenseurs de la tradition manichéenne.
Je refuse l'amalgame des écrits passionnés et souvent
excessifs de Louis-Ferdinand Céline dans les années 30
et des crimes commis pendant l'occupation après 1940...
J'ai donc lu les quatre pamphlets à leur date de
parution, et ce que j'en dis aujourd'hui, ce que j'en
pense aujourd'hui est exactement ce que je disais, ce
que je pensais à cette époque.
Céline, chaque fois qu'on l'a interrogé après son
retour d'exil, a déclaré formellement : " Tout ce que
j'ai écrit avant la guerre n'avait qu'un objet :
dissuader mes frères d'aller se faire tuer. Je sentais
la guerre venir, je voyais les efforts gigantesques de
certains clans (parmi lesquels des clans juifs, je dis
bien " parmi lesquels " pour précipiter mes compatriotes
à l'abattoir. J'ai crié mon horreur de la guerre et tout
fait pour prévenir celle qui venait. "
(...)
Les juifs. Ils sont traités en Allemagne d'une manière
ignominieuse. Ils sont aussi très forts, très
armés au niveau international. Très riches. Ils
maîtrisent dans le monde la plupart des médias, cinéma,
presse, théâtre, radio, information. Ils sont liés au
capitalisme international. Ils vont se défendre et
déclencher dans le monde entier un formidable mouvement
de propagande anti-allemande. Comme Hitler, ils
utilisent tous les processus, propagande, persuasion,
diplomatie, et pour finir la guerre (toujours
Clausewitz).
Que l'on me comprenne bien. Que l'on ne me fasse dire
que ce que j'écris ici. Je ne porte pas de jugements de
valeur. Les juifs sont traités d'une manière indigne et
criminelle. Mais ils sont armés, ils vont se défendre
par tous les moyens. Ce sont des faits. Si j'étais dans
leur situation, je ferais comme eux. Mais ce n'est pas
le cas et en 1939 je suis mobilisable. C'est à moi et à
mes semblables que Céline va s'adresser : " Attention,
on va vous faire gicler vers le grand abattoir ; refusez
! "
Voilà
le jeu tel qu'il est distribué au moment où Céline écrit
ses pamphlets. D'un côté l'Allemagne qui répand une
doctrine hostile au capitalisme international, combat le
marxisme, prône le racisme, déchire le traité de
Versailles, revendique un espace vital à l'Est et traite
les juifs d'une manière abominable. De l'autre, le
communisme stalinien, le capitalisme, la puissance
anglo-saxonne, dont la domination est menacée, et le
lobby juif, tous décidés à se défendre et à maintenir
leur puissance. Voilà les conditions de la guerre.
Céline n'a évidemment aucun pouvoir d'intervention
auprès du gouvernement allemand. Pas plus que du
gouvernement français. Mais, en France, il peut être lu.
Alors, il va écrire, ou plutôt il va hurler. Il va s'en
prendre à tous ceux qui, selon lui, constituent le clan
belliciste, indifférent aux souffrances que produira le
conflit en préparation. Il va jeter l'anathème sur les
banquiers anglo-saxons, les industriels de
Grande-Bretagne et des Etats-Unis, les dirigeants
anglais et américains soumis aux puissances d'argent que
menace l'Europe autarcique, les membres du lobby juif,
les francs-maçons qui font la liaison entre les pouvoirs
financiers et les gouvernements français soumis depuis
quinze ans aux directives anglaises, l'armée des
épigones du traité de Versailles, représentants des
ex-empires centraux, toujours prêts au terrorisme
provocateur, concussionnaires, vendus, pourris ("
demandez Titulesco !... qui n'a pas acheté Titulesco ?
", dit une scie à la mode), installés dans les couloirs
d'une " société des nations " inapte à régler le
moindre conflit, mais toujours prête à attiser les
zizanies locales et souffler sur les foyers allumés ici
et là, par des incendiaires intéressés à l'embrasement
de la planète.
(...) Et puis, je donne ici une opinion tout à fait
personnelle. Je ne trouve ni injurieux, ni condamnable
le fait de reconnaître aux juifs une puissance capable
d'infléchir le cours des évènements. Ce que je trouve
offensant pour les juifs c'est de les considérer comme
d'innocentes victimes bêlantes, incapables de réagir, de
se venger, de contre-attaquer.
En fait, ils sont forts, puissants, riches, organisés,
courageux, ils le prouvent tous les jours en Israël. Ce
qui est vrai aujourd'hui, l'était déjà avant 1939.
Est-ce leur faire injure de le dire.
Je regrette que tant d'autres torturés soient privés
de ce pouvoir. Mieux armés, plus riches, plus maîtres
des médias, ils pourraient, comme les juifs, alerter la
conscience universelle, dénoncer les bourreaux... Les
millions de Khmers massacrés sous le regard amusé du
correspondant de presse du journal " Le Monde "...
Et les Vietnamiens du Sud ? Et le génocide des Arméniens
? Un million six cent mille... Je connais une petite
d'Arménien... Son père, enfant en 1916, avait été
contraint par les Turcs de coudre le sac dans lequel
était enfermé son père assassiné et d'aller le jeter à
la rivière...
Soixante ans plus tard, ces crimes abominables, aucun
gouvernement ne laisse aux Arméniens le droit d'honorer
publiquement leurs martyres. Ils n'ont pas droit aux
manifestations, aux défilés, aux monuments
commémoratifs. Il leur manque la puissance. Dans leur
malheur, les victimes nanties ont encore la possibilité
de hurler... Barrès disait qu'il y avait des martyrs
privilégiés... Ceux qui peuvent donner l'alerte... Cette
discrimination est de tous les temps... Comme celle qui
concerne les bonnes races et les mauvaises.
Aujourd'hui, nous savons qui nous pouvons injurier
impunément et qui nous devons honorer sous peine d'être
poursuivi en justice. La polémique a ses barbelés.
(Ferdinand furieux, Lettera, L'Age d'Homme, 1979).
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